Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue d'Oc

J F Brun

/ #41 Re: Re:

2012-08-30 01:20

#40: realista - Re:  

 En temps qu'utilisateur d'un dialecte (le languedocien oriental, dit "montpelliérain") j'ai eu à polémiquer contre certains "normalisateurs rigides" qui voulaient remplacer mon dialecte par une langue unifiée créée sur des bases théoriques et où je ne me reconnaissais plus. Mais je ressentais bien que c'était un faux débat, il fallait à la fois la langue réelle, celle que nous recevions du monde rural des années 70 et qui a été éradiquée, et celle de la longue tradition littéraire panoccitane. Je n'imaginais pas écrire le dialecte de Mauguio ou de Lansargues ou de Pégairolles de Buèges, mais la langue qui se parle des Alpes aux Pyrénées et qui commence avec le Poème de Boèce et la chanson de Sainte Foi. C'était une évidence. Variété, enracinement dans la sève vivante, mais unicité. Bernard Manciet qui écrivait le gascon le plus hyperdialectal et le plus éloigné de l'occitan standard en faisait une langue de littérature extraordinaire, et pourtant il dirigeait "Oc", revue panoccitane, car la richesse était là, dans cette diversité communiquante. Notre manifeste se base sur la démarche culturelle, qui n'a pas cessé d'être panoccitane, à part quelques exceptions qu'il est intéressant d'analyser. Nous nous sommes battus pour faire reconnaître au niveau mondial notre existence en temps que grande langue de culture et de civilisation (c'est ça le PEN international) et nous avons réussi. N'ayez aucun doute: si nous scions la branche et admettons que nous sommes en fait une mosaïque totalement éclatée de parlers différents sans liens entre eux, notre disparition définitive de la scène mondiale sera scellée avant 2050, et cela pour la plus grande joie d'un certain nombre de gens qui voien avec horreur la possibilité que nous puissions survivre au rouleau compresseur. L'enjeu est là. Moins de 200 langues qui vont survivre sur la planète. Voulons nous en faire partie ou acceptons nous le sophisme des dépeceurs qui affirment: "la langue d'oc est diverse, donc il y en a plusieurs, figées sur la table de l'anatomiste, disséquées, immuables, et tout projet culturel est une falsification puisque seul compte le parler rural hyperdiversifié et d'ailleurs disparu qui identifiait la singularité d'un hameau ou d'un village, etc..." Le projet de Mistral était panoccitan, c'était une renaissance réelle, pas un repliement sur la seule Provence Rhodanienne. C'est un humanisme. Nous ne pourrons pas sauver 5 ou 7 langues d'Oc séparées par des murs de Berlin. Ces cloisonnements sont une certitude d'agonie. Et d'ailleurs aucun observateur extérieur ne comprendrait cet étrange dépecage. C'est un délire d'autodestruction propre à l'hexagone.

Par contre tous les écrivains du PEN sont tombés d'accord sur l'importance de la dialectalité, aucun écrivain n'arrive à faire fonctionner comme un outil de pensée et de réenchantement du monde une "langue moyenne", qui est une expérience intéressante mais ne véhicule pas la sensibilité, les couleurs, la vie, etc... Notre situation est singulière mais passionnante. il nous faut assumer ce paradoxe de l'unité et de la diversité, il est extrêmement fécond. Il permet à la littérature d'oc de tenir encore une place intéressante dans le concert des cultures du monde malgré la disparition de l'usage spontané de nos parlers dans le monde rural depuis une trentaine d'années.

Et pourtant, je persiste et signe, je peux parler mon languedocien en Gascogne ou dans les vallées occitanes d'Italie, avec une rapide acclimatation j'ai l'impression d'être dans le village voisin et non dans un autre pays, tout le monde me comprend et je peux dialoguer avec tout le monde. Ces dialectes ne sont pas une langue différente. On est même surpris au contraire de trouver à 1000 km de chez soi des mots et expressions qu'on croyait très locaux...

L'enjeu de ce manifeste est d'affirmer qu'il existe une vie culturelle entre les Alpes et les Pyrénées, une culture totalement décentralisée, sans capitale, une langue d'une richesse immense capable de dire le monde avec des tonalités qui ne sont qu'à elle, et qui en fait la démonstration depuis 1000 ans. La diversité de la langue est une de ses originalités pour une langue de culture. Cette originalité s'explique par l'absence de destin politique de cette langue, c'est ça la réalité, sur le plan culturel c'est une de nos singularités.