Autisme et souffrance psychique : Des professionnels dénoncent les impasses du réseau

Par la présente pétition, nous réclamons un droit de cité pour l'autisme typique ainsi que le droit à un suivi thérapeutique "hors-normes", impliquant :

- Une augmentation des places d'accueil

- Une adéquation de la durée de la prise en charge

- Un décloisonnement des secteurs

- Le droit à une inventivité méthodologique des professionnels

- Un droit au mouvement infini de la pensée...

 

Voici ci-joint un texte pour illustrer notre demande et nos arguments :

L’accueil des enfants en psychiatrie : une impasse ?  

Dans notre pratique en institution de soins psychiatriques, nous accompagnons des enfants et des adolescents dits autistes et/ou psychotiques, dont les troubles empêchent la fréquentation de l’enseignement ordinaire autant que spécialisé (le plus souvent, cet empêchement est total ; il arrive cependant qu’il ne soit que partiel).  Par ailleurs, certains de ces jeunes ne viennent dans notre institution que sur un mode ambulatoire, durant la journée, tandis que d’autres y séjournent sur un mode résidentiel, en internat partiel ou complet.  

Le caractère massif et permanent des difficultés avec lesquelles ces jeunes sont aux prises – violence sur soi ou sur les autres, important repli sur soi, rapports complexes à autrui, à la nourriture, à la propreté, etc. – nous oblige à penser ces difficultés en tant qu’elles se situent au cœur même du travail : chercher à les éradiquer serait vain, ne pas considérer leur fonction, un drame.  Au demeurant, si pareille esquive était possible, la scolarité de ces jeunes serait maintenue : nous tentons donc d’accueillir ces enfants et ces adolescents tels qu’ils sont, « avec » ce qui se présente comme symptomatique ; mais cet accueil de leurs difficultés n’en suppose pas moins une mise au travail de ces difficultés, en vue d’accompagner chaque jeune dans une recherche des solutions qui seront compatibles, autant que faire se peut, avec le lien social.  

C’est ainsi que nous travaillons, essentiellement, à partir des centres d’intérêts de l’enfant ou de l’adolescent : en cherchant à les étoffer, à les transformer – en vue d’en faire une base d’exploration vers d’autres champs d’expérience et d’investigation.  Nous prenons donc appui sur les spécificités, les ressources et la créativité propres de chaque jeune, en espérant trouver, précisément par ce chemin, la possibilité que s’ouvre entre lui et nous un lien vivant et apaisant.  

Cet accueil et cette mise au travail des difficultés en même temps que des spécificités propres à chacun des jeunes – pour permettre que s’ouvre un lien entre eux et nous –, voilà bien ce qui constitue, de notre point de vue, un préalable obligatoire à toute autre démarche : qu’elle soit thérapeutique (soutien à l’élaboration psychique), éducative (inscription dans un mode de vie socialisé) ou pédagogique (mise en place d’apprentissages et de compétences cognitives).  

Nous souhaitons, aujourd’hui, prendre la parole et présenter notre travail, car nous constatons, depuis quelques années déjà, que le type d’intervention avec lequel nous accompagnons chacun des jeunes inscrits dans notre institution reste de plus en plus souvent dans une grave impasse lorsqu’il nous faut lui trouver un relais pour une étape nouvelle dans le parcours de vie de chacun de ces jeunes, enfant ou adolescent.  

Tout d’abord, nous devons tenir compte de la durée-limite imposée par les instances publiques autorisant notre mission sociale : l’Organisme d’intérêt public « Iriscare », en effet, en lien avec le Service Public Fédéral « Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire, Environnement », nous permet de travailler avec chaque jeune en moyenne pendant trois ans, et exceptionnellement jusqu’à un maximum de cinq années.  Au terme de cette durée-limite, nous sommes donc impérativement tenus (selon l’expression courante dans notre milieu de travail) de « réorienter » ces jeunes, de trouver avec eux un lieu pour leur avenir : et si quelques-uns parviennent à intégrer ou à réintégrer l’école – en enseignement spécialisé la plupart du temps –, beaucoup d’entre eux n’en restent pas moins encore dans la situation d’avoir besoin d’être pris en charge plus longtemps en institution.  

Or nous ne cessons pas de constater qu’effectivement beaucoup trop peu de centres, en Belgique, disposent réellement des moyens nécessaires à l’accueil ajusté de ces jeunes et de leurs besoins : rien d’étonnant, dès lors, à ce que les listes d’attente des centres et institutions à même d’accueillir et de travailler avec ces jeunes soient saturées, de façon significativement chronique…  

La conséquence en est alors que nos patients, parfois, – car aucune autre possibilité ne se présente, – se trouvent orientés ou réorientés, en désespoir de cause, vers des lieux qui ne disposent malheureusement pas des moyens qui pourraient correspondre suffisamment aux difficultés en même temps qu’aux spécificités impliquées par la prise en charge de ces jeunes : c’est ainsi que la relève trouvée auprès de centres pour handicapés mentaux, d’écoles spécialisées, de grandes structures psychiatriques – compte tenu de toutes les compétences et de tous les bons vouloirs mis en jeu – n’en deviennent pas moins le lieu ou l’occasion de situations ou d’issues dramatiques…  

Prenons-en pour témoin le parcours d’un adolescent avec lequel nous avons travaillé.   --------------------------------------------------------------------------------------------------------

Jérémie est arrivé dans notre centre en 2013.  Le début du travail avec lui fut vraiment très pénible, tant sa violence était omniprésente et sans rien qui lui mette un terme : chaque jour il donnait des coups de pieds dans les tibias, lacérait les bras avec ses ongles, arrachait les portes des armoires, détruisait les vitres de l'institution, tout autant que le matériel qui passait par ses mains.  

Très vite, et sans avoir le moindre doute quant à la responsabilité et à l’amour que lui témoignaient ses parents, c’est à leur demande et malgré notre réticence que l’inscription de Jérémie en internat est passée de cinq jours à sept jours par semaine, et ce pour toutes les semaines de l’année, tant la situation imposée par Jérémie à sa famille était devenue proprement invivable – les contacts familiaux prenant alors la forme d’une visite parentale dans les lieux de l’institution, une fois toutes les deux semaines.  

Inlassablement donc, frénétiquement, ce jeune passait son temps à déchiqueter tout ce qu'il trouvait. Il peut sembler, dès lors, que l’attacher aurait été le seul moyen de l'en empêcher, ou bien l’assommer de médicaments – mais nous nous sommes toujours refusés à le faire.  Nous avons plutôt choisi de l'accompagner dans son besoin impérieux de détruire – en vue d’ouvrir la possibilité qu’il parvienne à se construire une limite, un bord : c’est ainsi que nous lui avons proposé des objets qu'il nous était acceptable de voir disparaître, ce qu'il a semblé rapidement affectionner.  De cette manière, nous mettions des conditions à notre collaboration dans sa destructivité, l'amenant à diminuer nettement sa violence envers nous autant que sa destruction hors cadre du matériel qui tombait dans ses mains.  C’est ainsi que, d’année en année, Jérémie s’est montré de plus en plus respectueux de l'institution et de son personnel, pour finir par devenir l’un des jeunes les plus apaisés du centre – avec une inscription très partielle à l’école, à l’intérieur des bâtiments de notre institution, dans le cadre d’un enseignement de type 5 (spécifiquement lié à une prise en charge hospitalière).  

Vint alors la fin – administrativement imposée – de son temps de prise en charge dans notre institution, et dès lors le besoin de trouver un relais à notre travail.  La première épreuve, évidemment, fut d’obtenir en un lieu institutionnel une place disponible, alors que le réseau en manque cruellement.  Après une année de recherche, un établissement de rééducation psychosociale accepta d’accueillir Jérémie : mais le soulagement fit très vite place à l'inquiétude car, dans cet espace encore inconnu pour lui, – où, de plus, un circuit de « destruction apaisée » n'existait pas encore, – Jérémie remit si violemment en scène les agressions contre le matériel et les personnes qu'il fut exclu de l’établissement dans un délai de moins de 48h et – dans la situation d’impasse et d’urgence où il se trouvait (en même temps d’ailleurs que les équipes impliquées dans sa prise en charge) – il s’est vu recueilli dans un service de psychiatrie adulte, faute d’autre possibilité concrète, praticable et soutenable, alors même qu'il n'avait que 16 ans à l’époque.  Ce secteur n’étant pas fondamentalement adapté pour accompagner Jérémie dans ses difficultés spécifiques (notamment compte tenu du caractère restreint des normes d’encadrement), cet hôpital pour adultes – toutes compétences et bon vouloir mis à contribution, au-delà même du possible raisonnable – n’eut pas d'autre choix que d’attacher Jérémie, l'enfermer toute la journée, lui imposer de fortes médications.  En outre, Jérémie se mit à faire des crises d’épilepsie, jusqu’à près d’une trentaine par jour, tombant tête première sur le sol.  Dans l’ensemble d’un tel contexte, et faute d’autres possibilités, alerté sur les difficultés extrêmes de la situation, le juge responsable que des soins soient mis en place pour Jérémie nous fit savoir que notre institution était actuellement la mieux à même de s’en charger : un mois plus tard donc après l’avoir quittée, Jérémie retrouvait sa place dans notre institution.  

Il fallut plusieurs mois pour que l'épilepsie disparaisse, mettant ainsi fin à ce qui aura été une situation de stress intense, aussi bien pour le jeune que pour l'équipe.  

Un nouvel axe de travail fut alors décidé, en tant même qu’il s’imposait désormais pour quiconque voulait bien garder les yeux ouverts : il allait falloir que Jérémie puisse trouver les moyens de quitter l’institution.  

En dépit des difficultés importantes que cette perspective allait générer, il fallait donc commencer par multiplier les rencontres de Jérémie avec le dehors de l’institution : c’est ainsi que nous avons entrepris avec lui de faire des courses, d'aller manger au restaurant ou encore de l'accompagner chez un thérapeute extérieur... ; et malgré des débuts chaotiques, le lien qu'il avait créé avec nous fut efficace et toutes ces tentatives portèrent leurs fruits.  

Un an plus tard, – le secteur de la psychiatrie infanto-juvénile étant toujours bouché, – nous n’avons pas eu d’autre choix, pour tenter d’y inscrire Jérémie, que nous tourner vers un « Service d’accueil pour personnes en situation de handicap mental ».  Et quoi qu’il en ait été de la détermination, de la bienveillance, de la compétence et du professionnalisme évidents de l’équipe de ce Service, moins d’une heure après que les accompagnants de Jérémie l’aient déposé sur place, un moment de crise aiguë mettant à mal personnes et matériel décidait sur-le-champ de la fin de son accueil et de son inscription dans ce service.  Désemparés, nous avons une fois de plus repris le travail avec Jérémie, alors que sa prise en charge aurait déjà dû se terminer depuis plus d’une année : mais toujours pas la moindre piste d'une sortie qui puisse convenir à la complexité de sa situation…  

Deux ans plus tard, – et à la suite de contacts engagés déjà de très longue date, – la possibilité s’est présentée d’une collaboration effective avec un autre hôpital psychiatrique qui, faute de pouvoir prendre Jérémie en charge sur le long terme, envisageait néanmoins de l'accueillir quelques semaines de temps en temps : de quoi l'aider à s'habituer à notre absence sans rompre le lien trop brutalement.  Cette expérience porta ses fruits : Jérémie parvint enfin à trouver sa place dans un cadre qui n’était plus porté par nous.  

Depuis lors, deux centres se montrent prêts à accueillir Jérémie et, qui plus est, dans un dispositif rendant possible que le temps de la transition soit suffisamment étalé pour que notre présence reste opérante, dans la vie de Jérémie, le temps qui sera nécessaire à ce que des liens assez forts se tissent avec de nouvelles personnes et permettent ainsi son inscription dans un nouveau lieu.  

Jérémie a maintenant 18 ans, il aura donc passé 6 ans dans notre institution – c’est-à-dire, grâce à la poursuite du financement fédéral, le double de la moyenne de temps autorisée par la convention avec Iriscare : tel donc aura été le temps de prise en charge nécessaire pour que cette transition vers le dehors de notre institution devienne ainsi possible et se passe en douceur.  

Pour conclure, nous pouvons affirmer que la capacité de travail assurée en santé mentale par le secteur infanto-juvénile, comparée à la forte pression des besoins, est insuffisante : en nombre de places, en normes d’encadrement et de personnel, tout autant qu’en moyens financiers.  

Par ailleurs, nous réalisons aussi que la durée de prise en charge qui nous est imposée est souvent trop courte : bon nombre de nos patients ont en effet besoin de beaucoup de temps pour pouvoir s’adapter à un environnement nouveau et devenir ainsi capables de s’inscrire dans une communauté humaine qui soit ouverte.  Dès lors, devoir déjà penser à leur départ quand ils n’ont même pas encore commencé à s’apaiser dans le lieu qui les accueille, c’est souscrire à une précipitation qui ne peut qu’engendrer des contresens thérapeutiques…  Il conviendrait bien plutôt que les jeunes puissent bénéficier d’un temps de prise en charge évalué sur mesure, au cas par cas, et tenant compte du temps de recherche nécessaire pour trouver une structure de relais adaptée – de telle sorte que le départ des jeunes se déroulerait au mieux.  

Ne nous y trompons pas – et nous adressons particulièrement ce propos aux partisans de l'idée qu'il faudrait, par principe, en finir avec les prises en charge en institution psychiatrique pour des enfants et des adolescents dits autistes et/ou psychotiques : l'enjeu de la question que nous soulevons ici n’est souvent rien de moins, pour ces jeunes et leur famille, que celui – purement et simplement – d’une vie possible au sein d’une communauté humaine.  L’enjeu est parfois même celui de leur survie


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