Il faut défendre l’agrégation de droit et la réformer

          Le 25 septembre 2019, un arrêté ministériel a fixé à six le nombre d’emplois pour le concours d'agrégation de droit public alors que 146 candidats y sont inscrits. Informée de ce chiffre catastrophiquement faible, la Présidente du jury a adressé une lettre à diverses autorités afin de dénoncer le caractère indécent de ce nombre de postes et l’injustice qui serait faite aux candidats s’il devait être maintenu. Au-delà du sort du concours 2019-2020, tout en espérant bien entendu que le nombre de postes augmentera substantiellement, on ne saurait négliger le risque de disparition du concours d’agrégation qui se profile désormais à court terme.  

           Si nous sommes conscients de la nécessité de réformer le concours, nous demeurons néanmoins convaincus qu’il faut maintenir, dans les disciplines juridiques, cette voie d’accès au corps des professeurs d’université, dans des proportions au moins égales à celle des autres voies de recrutement. Nous demandons en conséquence un strict respect du contingentement, règle selon laquelle le nombre total des emplois ouverts en application de l’article 46 du décret 84-431 ne peut être supérieur au nombre des emplois ouverts au concours d’agrégation.  

          L’existence du concours d’agrégation de droit améliore, en effet, la qualité de l’enseignement. A l’heure où la politique du ministère met plus que jamais l’accent sur l’importance de la pédagogie, il serait paradoxal de se passer d’un concours dont les quatre épreuves sont orales, proches dans leur modalités d’un cours ou d’une conférence, tandis que les autres modes de recrutement se contentent d’une qualification sur dossier via le CNU et d’un bref entretien, souvent convenu car sans objet défini, avec le candidat. A l’inverse, la diversité des épreuves d’agrégation en droit et la composition du jury contraignent le candidat à sortir du seul domaine de ses travaux pour acquérir un savoir généraliste approfondi qui favorise une conception pluridisciplinaire du droit et facilite, par la suite, sa présentation à un public d’étudiants souvent hétérogène. A cet égard, l’agrégation de droit n’épuise pas ses effets au bénéfice des seuls heureux reçus. Elle améliore le niveau de tous ceux qui s’y sont un jour sérieusement préparés, que ce soit avec succès ou non. Elle forme en conséquence des enseignants polyvalents et aguerris, capable de supporter ici l’angoissant face à face avec le jury, là le stress d’un plein amphi.  

          Par ailleurs, à une époque prompte à lutter contre les conflits d’intérêts, n’est-il pas surprenant de vouloir se passer d’un concours national qui apparait comme l’un des meilleurs garants de l’impartialité du recrutement ? Ses sept membres, qui pour certains ne se sont jamais rencontrés auparavant, qui ont été choisis par le Président du jury en tenant compte à la fois d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes ainsi que des différentes disciplines et régions, garantissent au jury une composition pluraliste. De plus, son renouvellement intégral à chaque concours interdit à une quelconque vision dominante du droit de s’imposer au fil du temps. Le caractère national du concours et le strict respect des règles de déport empêchent que le jury puisse être parasité par des facteurs qui, eux, interviennent inévitablement au niveau local : sentiment de reconnaissance à l’égard de collègues locaux, réseau professionnel et amical, etc. Au regard d’un jury de sept personnes qui non seulement entend les candidats à quatre reprises, mais est incité à lire les travaux de manière d’autant plus approfondie que son appréciation ne prend pas la suite d’une qualification par le CNU, quelle autre procédure peut se prévaloir d’un niveau semblable d’équité et de rigueur à l’égard des candidats ?  

          Enfin, alors que les universitaires quel que soit leur corps d’appartenance se plaignent à juste titre de la perte de prestige et d’attractivité de leur métier, on ne peut se passer de ce qui constitue pour nombre de docteurs et de doctorants un important facteur d’espoir et, pour bien des maîtres de conférences, une véritable source de motivation. Les disciplines juridiques ont la chance de disposer, à travers le concours d’agrégation, d’un accélérateur de carrière qui limite la tentation du départ vers le secteur privé ou d’autres branches du secteur public, alors même que se confirme le décrochage de l’université française en matière de traitements des universitaires, indécents à maints égards.  

          Pour comprendre les bienfaits de l’agrégation, il suffit d’imaginer ce qui se passerait si elle disparaissait. Le rapport du HCERES du 13 juin 2019 sur les effets du recrutement des professeurs de sciences économiques après mise en sommeil du concours d’agrégation est à cet égard très instructif. Il souligne non seulement une entrée beaucoup plus tardive dans le corps des professeurs (plus de 40 ans à près de 80 %), mais aussi une véritable explosion du taux d’endorecrutement (qui varie selon les sources de 45 à 60 %) et un fort rétrécissement de la mobilité externe par voie de mutation (18 % contre 45% auparavant). Ce n’est certainement pas de ce modèle que nous voulons. C’est pourtant celui qu’encouragent bien des universités en privilégiant les voies de recrutement alternatives à l’agrégation. Personne n’entend contester que les possibilités de recrutement au titre de l’article 46 contribuent à la vitalité de la communauté universitaire. Elles sont indispensables, car elles offrent une voie d’accès au professorat à ceux qui ont été victimes des aléas du concours ou des lourdes contraintes qu’il impose aux candidats. Elles ne sauraient toutefois constituer la seule voie d’accès au professorat car elles obligent trop souvent les maîtres de conférences pour devenir professeurs à un âge plus avancé, à passer sous les fourches caudines de l’endogamie, voire du clientélisme.  

          Contre la mort programmée de l’agrégation, voulue par ceux qui refusent la méritocratie républicaine, les présents signataires appellent à un sursaut des juristes universitaires. Il faut que le nombre de postes mis au concours soit suffisant pour que soit maintenu ce mode de recrutement dans le respect du contingentement qui permet un système équilibré. Toutefois, les signataires n’ignorent pas les reproches qui sont faits à ce concours de favoriser les candidats parisiens par rapport aux non parisiens, les hommes par rapport aux femmes et d’envoyer parfois dans les universités des professeurs qui ne correspondent pas toujours au profil attendu. Des pistes avaient été proposées, en 2011, par le projet de la commission Sudre. D’autres sont concevables. Conscients de la nécessité de conserver au concours son caractère égalitaire et de l'adapter à la situation actuelle, les signataires appellent donc à rouvrir le grand chantier de la réforme de l’agrégation. Tel est aussi le sens de cet appel : maintenir l’agrégation en l’adaptant aux temps nouveaux.  

          Plutôt que de laisser une fois de plus les choses se faire sans réagir, unissons-nous en signant cette pétition pour marquer notre détermination à défendre ce concours et notre résolution à le rénover. C’est aussi l’avenir des facultés de droit, au sein d’une Université française en pleine recomposition, qui est en jeu. 


Auteurs de l’appel :


Olivier Beaud, Professeur agrégé de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Pascale Gonod, Professeur agrégé de droit public, Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Cécile Guérin-Bargues, Professeur agrégé de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Olivier Jouanjan, Professeur agrégé de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Fabrice Picod, Professeur agrégé de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Hélène Ruiz Fabri, Professeur agrégé de droit public, Institut Max Planck Luxembourg

Patrick Wachsmann, Professeur agrégé de droit public, Université de Strasbourg


Premiers signataires :

Anciens présidents du jury d’agrégation

Louis-Augustin Barrière, Professeur agrégé d’histoire du droit, Université Jean Moulin (Lyon III)

Jean Combacau, Professeur émérite de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Maryse Deguergue, Professeur émérite de droit public, Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Philippe Delebecque, Professeur agrégé de droit privé, Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Pierre Delvolvé, Professeur émérite de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Hugues Fulchiron, Professeur agrégé de droit privé, Université Jean Moulin (Lyon III)

Michel Grimaldi, Professeur émérite de droit privé, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Yves Jegouzo, Professeur émérite de droit public, Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Jacques Krynen, Professeur agrégé d’histoire du droit, Université de Toulouse

Marcel Morabito, Professeur agrégé d’histoire du droit, I.E.P. Paris

Jacques Mestre, Professeur émérite de droit privé, Université d’Aix-Marseille

Jean-Pierre Poly, Professeur émérite d’histoire du droit, Université de Paris Nanterre

Corine Saint-Alary Houin, Professeur émérite de droit privé, Université de Toulouse

Frédéric Sudre, Professeur émérite de droit public, Université de Montpellier

Didier Truchet, Professeur émérite de droit public, Université Panthéon-Assas (Paris II)

 

Présidents des sections juridiques du Conseil National des Universités

Emmanuelle Chevreau, Professeur agrégé d’histoire du droit, Université Panthéon-Assas (Paris II)

France Drummond, Professeur agrégé de droit privé, Université Panthéon-Assas (Paris II)

Fabrice Melleray, Professeur agrégé de droit public, I.E.P. Paris


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