Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue d'Oc

Ive Gourgaud

/ #327 Re:

2012-10-12 16:54

#326: Philippe Carcassés -

Lou bon jour, Mèstre Carcassés !

Quelle magistrale leçon ! Il y a bien longtemps que je n'avais lu, sous une plume occitaniste, un "bilan et perspectives" d'une telle ampleur de vues et d'une telle honnêteté! Sans parler du caractère concret de tout ce que vous proposez, en mettant le doigt sur le vrai défi: relier le peuple à sa langue.

Mistral avait déjà dit, dans sa belle pensée poétique, que "l'arbre qui monte le plus haut est celui dont les racines sont les plus profondes" (réponse anticipée à tous ces "tableraseurs du passé" qui pourrissent régulièrement les débats entre défenseurs des langues minorisées). Hé bien je me permets d'affirmer que votre image à vous, qui reprend l'image de base mistralienne, l'amplifie singulièrement:

"n'oublions pas une chose: une plante peut vivre avec ses racines sans forcément donner de fruit. En revanche, pour qu'il y ait fruit, il faut qu'il y ait racines. Je veux bien croire que l'occitan référentiel et l'orthographe classique est le fruit, mais il ne peut se nourrir que dans ses racines: le dialectal et ses locuteurs"

et je vois dans votre pensée ce qui pourrait bien être la base d'un accord programmatique: puisque c'est manifestement (c'est le mot!) l' "occitan référentiel" qui nous oppose le plus radicalement, adoptons tous votre position:

- ce "référentiel" ne peut être qu'un FRUIT, jamais une RACINE. Et encore, un fruit aléatoire.

- en conséquence, éliminons-le du SOCLE COMMUN de la langue, et considérons, COMME MISTRAL ET TOUS LES GRANDS EC RIVAINS en lengo nostro qu'il ne fait pas partie de notre bagage culturel. Le Prix Nobel ne doit rien à un quelconque "référentiel", tout le monde devrait le savoir et j'espère que JF Brun, qui est un vrai littéraire, admettra enfin cette vérité-là, à savoir qu'enrichir son parler de base (travail de tout écrivain digne de ce nom) n'a RIEN A VOIR avec l'élaboration d'un référentiel comme l'est l' occitan standard, commun, normé, large, bisounours et que sais-je encore.

- ON PART DES RACINES, TOUJOURS. On oublie le "référentiel": c'est bien un autre occitaniste, Eric Gonzalès, qui fait justement remarquer que personne ne veut faire l'effort d'apprendre un référentiel en plus de son parler naturel OU DE CHOIX: que les exilés et les néo-apprenants se choisissent une forme VIVANTE qui leur servira de vrai référentiel (et une fois encore E Gonzalès sait analyser la situation, en indiquant au moins deux formes vivantes qui peuvent servir à ça, le provençal mistralien et le béarnais. Je re- re- re-demande à JF Brun ce que ça lui apporte d'écrire AMB en place de son beau "Embé" (je" dis "beau" parce que c'est la forme cévenole!!!). Sérieux: qui peut croire que "embé", "emé" , "amé" et autres formes réelles sont un obstacle à l'intercompréhension ??? Merci à ce propos, Mèstre Carcassés, de confirmer que mon "allergie" est partagée.

Qu'un écrivain ENRICHISSE sa langue, oui! Mais ce n'est pas en changeant sa phonétique ou sa morphologie qu'on enrichit sa langue, au contraire on l'appauvrit en lui ôtant toute sa crédibilité de LANGUE VIVANTE ENRACINEE. Donc JF Brun, écrivain, a bien le droit de se sentir dans une formidable harmonie avec les Troubadours et les Catalans, sauf que les uns sont morts depuis longtemps et que les autres refusent et refuseront le jeu occitaniste du "Catalan = Occitan". C'est donc un sentiment qui, du point de vue de l'efficacité, est parfaitement vain. EN REVANCHE, JF Brun ne doit pas ignorer que ces choix le séparent, et radicalement, de son propre peuple (et secondairement, mais quand même, de gens comme moi)

D'où opération très négative: on perd d'un côté (le côté fondamental, celui du peuple) sans rien gagner de l'autre côté (les "élites" qui semblent fasciner JF Brun ne sont pas du tout intéressées par notre combat; ou alors ce sont déjà des occitanistes tendance jacobine, ce qui ne devrait guère rassurer le défenseur de la diversité)

Je considère votre intervention, Mèstre Carcassés, comme le véritable MANIFESTE UNITAIRE de la langue d'oc (ben oui, dans ces conditions de clarté et d'intelligence, je n'ai aucun mal à parler de "langue d'oc" au singulier - lisez: dans sa singularité)