HALTE A L’INGERENCE DES POLITIQUES DANS LE RITUEL DU KPESOSO

MANIFESTE  

Des Hounon et des cadres de la Préfecture des Lacs, respectueux de leurs us et coutumes, Avec l’appui des chefs traditionnels,

                                                                                    DENONCENT

L’appui des Pouvoirs publics, par l’intermédiaire des forces de l’ordre, à un fauteur de troubles irrespectueux des autorités traditionnelles, le jour du Kpesoso, édition  2016 à Gbatchoumé (Glidji-Kpodji).  

  INTRODUCTION  

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Les festivités du nouvel an guin ‘’Epe ye kpe’’ viennent d’être clôturées à Aného le 8 décembre 2016 par le rituel de ‘’Vodu dzeapu’’ (retour des divinités à la mer). C’est pour nous, signataires du présent manifeste, l’occasion de revenir sur l’intervention agressive incompréhensible des forces de l’ordre, le jour du Kpesoso (prise de la Pierre sacrée), à l’égard de nos paisibles frères et sœurs respectueux des instructions des autorités traditionnelles ; ce faisant les Pouvoirs Publics ont, de façon manifeste, pris fait et cause pour l’individu hors-la-loi, nommé Ayayi Aminou dit Nii Mantchè, rebelle aux injonctions des autorités traditionnelles officiellement reconnues, chargées d’organiser les dites cérémonies.    

   

 

I.  Brève historique

Le rite du Kpesoso en pays guin marque le point culminant d’un rituel, ensemble complexe de rites les plus sacrés hérités de nos ancêtres, débutant chaque année par le rite Sedodo (période d’abstinences) et se terminant par le rite Vodu dze apu (le retour à la mer des divinités, au nombre de 41). L’ensemble de ce rituel, s’étale sur six mois lunaires au cours desquels se déroulent les rites Motata n°1 (préparation symbolique des voies d’accès au quartier Ela à Aného et à Agbodrafo), Situtu (réconciliation-bénédictions), Bliku Mama (détermination du jour du Kpesoso), Motata n°2, (préparation des voies d’accès aux sanctuaires de Gbatchoumé), Kpesoso (Prise de la Pierre sacrée), Nwali Yoyo (l’invocation des morts), Yaka-yèkè dugbe (le jour du repas en communion avec les vivants et les morts), Nlowoa nagbé (jour de partage des vœux du nouvel an guin), Kpantchon-tchon (cérémonies propitiatoires sous forme de carnaval), Vodu yi ho (retour des vodu aux sanctuaires), accompagné du Sidudu (exécution de la danse Si avec le retour des vodu aux sanctuaires de Gbatchoumé) et enfin le Vodu dze apu (le retour des divinités ondines à la mer).

La grande diversité du peuple guin a requis de la part des Chefs Traditionnels et des Hounon, un gros effort d’organisation et d’harmonisation pour mettre en place un calendrier suivi rigoureusement par les acteurs.

0216.jpg C’est ainsi que durant plus de trois siècles,  les choses se sont déroulées à la satisfaction de tous, en dehors de quelques accrocs liés aux difficultés de détermination du calendrier du rituel,  intervenus au cours du siècle dernier en 1937, 1940, 1948, 1951, 1960 et 1991. Mais à chaque fois, l’intervention des autorités traditionnelles, de concert avec le collège des Hounon est toujours parvenue à régler les différends et remettre les choses en ordre. Du moins, la non intervention des Pouvoirs Publics a toujours permis le règlement de ces différends sans heurts, suivant les mécanismes internes à la société guin.

 

Les conflits liés à la détermination des dates ou bien aux agissements de certains individus pour perturber les cérémonies 0316.jpgont donc parfois eu lieu. Mais il est important de noter que les processus de règlement des conflits à l’interne ont toujours joué pour mettre fin à ces différends. Que se passe-t-il alors pour que ce processus ne puisse plus fonctionner ? Le conflit est devenu très difficile à gérer lorsque les Autorités administratives s’en sont mêlées en appuyant les agissements scandaleux d’un camp, celui du sieur Ayayi Aminou dit Nii Mantchè, contre l’autre, les tenants de l’orthodoxie, et en envoyant les forces de l’ordre, sous prétexte de prévenir des troubles, en fait, profaner la Forêt sacrée de Gbatchoumé où personne, en dehors des prêtres et adeptes autorisés, ne devait mettre pied.  

 

 

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http://togocultures.com/togo-epe-ekpe-une-tradition-desacralisee-des-joyaux-transformes-en-immondices/

   

Qui est Ayayi Aminou ?

 

 
Il fut le Hounon de la divinité Maman Koley. Dans le rituel du Kpesoso, ce Hounon est chargé de recueillir la Pierre sacrée une fois révélée, des mains du Hounon de la divinité Sakoumon (à qui incombent les cérémonies divinatoires déterminant les présages de l’année nouvelle, et donc la couleur de la Pierre sacrée). Le Hounon de Maman Koley est chargé, quant à lui, de présenter la Pierre au public rassemblé sur la place de Gbatchoumé, et de délivrer le message l’accompagnant.

  Suite au décès de Wlomon Nii Labitey V, Grand Prêtre de Sakoumon, Hounon Ayayi Aminou fut chargé par Gê Fiogan d’assumer provisoirement les fonctions de Hounon de Sakoumon. Plus tard, il fut confirmé de bonne foi par Gê Fiogan, non seulement comme Grand Prêtre de la forêt sacrée de Gbatchoumé mais également comme responsable de la divinité Sakoumon, cumulativement à son statut de Hounon de Mama Koley. De ce cumul abusif, naitront moult conflits, les Hounon responsables des autres divinités, jusque-là indépendants, acceptant mal la tutelle du sieur Ayayi Aminou qui, par ailleurs, se rendit coupable de mauvais comportements dénoncés par plusieurs responsables de sanctuaires aussi bien au Togo qu’au Bénin. Comme on peut s’y attendre, des crises éclatèrent, le sieur Aminou étant décidé à user de ses nouvelles prérogatives pour s’imposer, et les autres responsables religieux ne voulant pas céder. Devant ce tollé général et les désordres y afférents, Gê-Fiogan dut rapporter le 28 juillet 2008 la décision nommant Hounon Ayayi Aminou Grand Prêtre de la forêt sacrée. Mais fort de ses appuis politiques, celui-ci continua d’exercer, comme si de rien n’était.    

 

 

II.  Exposé des faits relatifs à Kpesoso 2016

 

Tirant leçon des désordres constatés lors des récentes éditions du Kpesoso, Gê Fiogan décida, de concert avec d’autres Chefs Traditionnels et la très grande majorité des Hounon, de réduire la cérémonie de Kpesoso à sa plus simple expression, pour les années 2016 et 2017. Cette décision a été prise dans le souci de sauvegarder la paix sociale du peuple guin. En bref, le rituel du Kpesoso se déroulera dans le respect de toutes les phases des rites prescrits, très tôt dans la matinée, mais en l’absence du grand public habituel ; la Pierre sacrée sera présentée, naturellement, et le message y afférent sera délivré au niveau de chaque temple et porté à la connaissance de tout le peuple guin.

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Le 15 août, soit environ deux semaines avant le Kpesoso, une réunion convoquée par le Préfet des Lacs s’est tenue dans le bureau du Président de la Délégation Spéciale de la Commune d’Aného. Ont pris part à cette réunion en leur qualité de fils du milieu, les ministres André Johnson de l’Environnement et des Ressources Forestières, et Eliott Ohin, Délégué auprès du Premier Ministre, le Préfet des Lacs, Datè Benissan-Tété, Me Alexis Aquéréburu, M. Yom Anoumou Kouvahé, ancien Préfet et M. Têko Kuéviakoé, ancien Secrétaire Général de la Préfecture des Lacs. Au cours de cette rencontre, les participants ont appuyé la décision des Chefs Traditionnels guin. Il a également été convenu que le Procès-verbal sanctionnant cette rencontre soit adressé par le Préfet au Ministre de l’Administration Territoriale après validation par les autres participants, d’une part, et que d’autre part le Préfet demande, à l’occasion, l’appui des forces de l’ordre pour parer à toute éventualité le jour de la cérémonie. Ce procès-verbal n’a pas été établi.

On en était là, quand sur les antennes d’une radio locale, le Président de la Délégation Spéciale de la Commune d’Aného, M. Ayivi Ayayi Patrice, défia Gê Fiogan en déclarant que celui-ci n’avait aucune autorité pour prescrire quoi que se soit dans le domaine du Kpesoso. De la même manière, Mme Henriette Amedjogbé-Kuévi, ancienne ministre, députée à l’Assemblée Nationale, s’est arrogé le droit, avec le concours actif du Préfet des Lacs M. Benissan-Tété Daté et M. Ayivi, d’inviter le public à Gbatchoumé.

Le jour du Kpesoso, telles que prescrites par les Chefs traditionnels, les cérémonies se déroulèrent tôt le matin, en l’absence du grand public, à Gbatchoumé. Plus tard en début d’après-midi, survint le groupe d’Ayayi Aminou, escorté par la force publique. Gaz lacrymogènes, coups de matraques et bousculades s’ensuivirent lorsque les jeunes gens voulurent s’opposer au simulacre de Kpesoso par Ayayi Aminou.      

 

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Le lendemain, le vendredi 02 septembre, le Ministre de la Sécurité et de la Protection civile publia un communiqué faisant croire que les troubles, réprimés la veille à Glidji-Kpodji, ont été provoqués par les tenants de la décision des Chefs Traditionnels.                                             

 

III.   Conclusion

L’historique et les faits montrent en toute objectivité et évidence que, soucieux du maintien de la paix sociale et de la concorde, les Chefs traditionnels, inspirés par la sagesse ancestrale, ont usé des attributions à eux conférées par la Constitution (Titre XII – DES COLLECTIVITES TERRITORRIALES ET DE LA CHEFFERIE TRADITIOONELLE- article 143) et la loi (n°2007-002 du 08 janvier 2007 - relative à la Chefferie Traditionnelle et au statut des Chefs Traditionnels au Togo - articles 20 à 23) pour prendre des décisions justes et salutaires, appréciées des populations, notamment :

i) la destitution judicieuse du nommé Ayayi Aminou dit Nii Mantchè, cause des graves     désordres intervenus lors de récentes cérémonies du Kpesoso ;

ii) l’organisation a minima des éditions 2016 et 2017 de Kpesoso.

L’on ne peut dès lors comprendre le fondement de l’attitude des Pouvoirs Publics qui ont engagé des actes totalement contraires aux prescriptions des autorités traditionnelles, notamment :

i) inviter les populations à venir assister à une cérémonie de Kpesoso non cautionnée par les autorités compétentes ;

ii) soutenir ladite cérémonie conduite par le nommé Ayayi Aminou destitué à bon droit par les autorités traditionnelles et qui plus est, interdit de séjour à Gbatchoumé ;

iii) Faire intervenir les forces de l’ordre pour faire violence aux paisibles populations respectueuses des instructions des autorités traditionnelles.

Le communiqué du 02 septembre 2016 de Monsieur le Ministre de la Sécurité et de la Protection civile, qui tend à faire croire que les troubles ont été provoqués par les tenants de la décision des Chefs Traditionnels, pour justifier le mauvais traitement infligé aux populations par les forces de l’ordre, a été jugé provoquant et très largement contesté par les populations, les Hounon et les Chefs Traditionnels. Au demeurant, si des populations qui viennent d’accomplir dans le détail leur cérémonie ancestrale la plus sacrée s’aperçoivent qu’un imposteur hors-la-loi force l’accès des lieux pour les profaner, ne sont-elles pas légitimement fondées à s’y opposer par tous les moyens, dans la lettre et dans l’esprit de l’article 150 de la Constitution togolaise ? Dans ces conditions n’est-il pas scandaleux de constater que les forces de l’ordre, au lieu de contribuer à neutraliser l’imposteur hors-la-loi, soient intervenues pour maltraiter les populations respectueuses des traditions ?  

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En somme il s’agit de la part des Pouvoirs Publics, à travers leurs représentants de droit et de fait, d’une violation de la Constitution et de la loi en matière de Chefferie Traditionnelle d’une part et, d’autre part, de l’encouragement au désordre public et à la division dans un milieu traditionnel dont l’organisation et la notoriété rayonnent depuis des siècles au-delà de l’Afrique, à travers des manifestations de portée internationale qui font la fierté de notre pays.  

 

 

 

IV.   Adresse aux Pouvoirs Publics -    

-     Vu l’extrême gravité des événements intervenus à Gbatchoumé le 1er septembre 2016 et leur impact négatif dans le milieu ;

-   Convaincus qu’il n’est d’aucun intérêt pour les Pouvoirs Publics de voir la disparition des us et traditions du Togo, notamment de la célébration annuelle par les Guin de Epe ye kpe ;

-   Soucieux de garantir la paix sociale ainsi que la pérennité des us et coutumes auxquels le peuple togolais dans ses diverses composantes est viscéralement attaché ;   Nous, Hounon et Cadres de la Préfecture des Lacs, respectueux des traditions du peuple guin, avec l’appui des Chefs traditionnels  

1.       Dénonçons fermement l’appui des Pouvoirs Publics , par l’intermédiaire des forces de l’ordre, pour soutenir contre les populations, au mépris de la décision de sagesse prise par les Chefs Traditionnels et les Hounon, le nommé Ayayi Aminou, hors-la-loi, cause des désordres intervenues ces dernières années lors des cérémonies du Kpesoso ;  

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2.       Confirmons que le nommé Ayayi Aminou dit Nii Mantchè a été régulièrement destitué par Gê Fiogan, autorité traditionnelle officielle compétente, avec l’accord des Chefs Traditionnels principalement concernés par la tradition Epe ye kpe ; qu’il n’a aucun pouvoir, ni compétence pour intervenir où que ce soit au nom des Chefs Traditionnels ou religieux du pays guin. Dans ce sens, il y a lieu de rappeler qu‘en 2015, les populations de Glidji-Kpodji, y compris sa propre famille (Afanou) se sont insurgées contre l’intéressé en s’opposant à son accès à la Forêt sacrée où il prétendait conduire une cérémonie. Il y eut des blessés de part et d’autre, malgré l’intervention des forces de l’ordre.  

3.        Souhaitons qu’à l’avenir, concernant Kpesoso, les Pouvoirs Publics ne prennent en considération que les décisions prises par les Chefs Traditionnels, gardiens constitutionnels des us et coutumes, de concert avec les Hounon, qui peuvent solliciter, par les voies légales, l’assistance des Pouvoirs Publics notamment pour la sécurité et éventuellement pour le maintien de l’ordre lors desdites cérémonies ;  

4.       Tout en œuvrant pour la promotion, notamment culturelle et touristique, de Kpesoso, Souhaitons des Pouvoirs Publics la non-ingérence dans nos traditions ainsi que le respect de la célébration de nos rites dans leur pureté.  

« Guindoua le gbaa, vo a agbo l’enou !! » (Il faut savoir se faire ouvrir les portes avant d’entrer en pays guin). Cette sentence ancestrale multiséculaire invite simplement, entre autres, au respect d’un ensemble de procédures et de règles consacrées pour l’harmonie du vivre ensemble dans n’importe quelle société.  

 

Fait à Aného, le 19 décembre 2016.

https://www.youtube.com/watch?v=ESLKDJnxZeI


Association pour le développement de la commune d’Aného (ADECAN)    Contacter l'auteur de la pétition