Lettre concernant l'organisation du baccalauréat

Mmes Brouillet et Laflamme, Me la doyenne, Me la vice-doyenne,

 

La présente est pour vous faire part de certaines réflexions et considérations qui, bien qu’étant confirmée par l’imminent parachèvement de mon baccalauréat en Droit à l’Université Laval, ont suivi toute l’étendue de mon parcours universitaire à la Faculté.

 

Tant étant le but de cette missive, il me semble à propos de commencer en soulignant la qualité et la sagacité du corps professoral; l’enseignement dispensé étant dans sa quasi-totalité d’une pertinence et d’une justesse irréprochables. Donc avant tout, un sincère remerciement à tous ceux qui contribuèrent à mon apprentissage durant les cours et qui surent nous transmettre l’intérêt qu’ils portaient aux divers champs du droit dont ils assuraient l’instruction.

 

Cette lettre trouve sa raison d’être et sa motivation dans un autre ordre idée. Il s’agit de l’organisation globale du programme d’étude ainsi que de la manière dont les cours obligatoires sont distribués. Bien que ces derniers soient, pour la majorité, justifiés de faire partie du cursus auquel on ne peut déroger (tenant en compte le fait que ce dernier change et s’adapte), une lacune, patente à mes yeux, ressort en rétrospective de ces deux années et demie consacrées à l’étude de ce domaine.

 

Il me semble parler d’un accord général en affirmant que le droit est une matière d’une grande complexité du fait qu’elle émane et qu’elle s’alimente, autant dans son existence positive que dans sa théorie et philosophie, de champs excessivement diversifiés du savoir humain. Sans abus de langage, le droit n’a pas d’existence en vase clos et autodéterminée. Il découle souvent de sources multifactorielles et interdisciplinaires, qui selon le cas, proviennent autant des sciences naturelles que des sciences sociales; fait que certains enseignants consciencieux n’ont pas manqué de faire remarquer quand le contexte s’y prêtait et dont j’imagine vous avez également pleine conscience. J’en viens ainsi à la question fondamentale : Le baccalauréat en droit s’est-il investi de la mission de former des juristes ou de former des avocats et des notaires ? S’il s’avère que ce soit le premier élément de la question qui en constitue la réponse, force est d’admettre que mon parcours m’a clairement plus donné l’impression qu’il s’agissait du second. Car du bloc des cours obligatoires, aucun ne portait concrètement et n’avait pour but premier de faire comprendre le contexte immanent au droit (que ce soit l’histoire, la philosophie politique, la sociologie, la psychologie). Aucun ne portait sur cet aspect qui me semble fondamental, qui est l’interaction entre le droit et les autres domaines d’études, surtout ceux reliés aux sciences sociales. Aucun cours dans ce bloc n’a pour objectif d’éveiller ou de réaffirmer chez les étudiants le fait que le droit est étroitement et intrinsèquement lié à ces autres sciences. Corollairement, aucun de ces cours n’est non plus consacré à l’instigation de réflexions sur ce qu’est, a été ou devrait être le droit. Omettre de telles perspectives tronque dangereusement les idées, les notions et les remises en question qui possiblement auraient pu se former chez l’étudiant universitaire. J’ose encore croire que les études universitaires ne sont pas une sorte de technique de luxe.

 

Cette relation indéniable semble être plus soucieusement prise en compte dans d’autres systèmes d’éducation et d’autres facultés qui souvent demanderont un autre baccalauréat dans un autre domaine avant de pouvoir accéder à l’étude du droit. Bien conscient que le bloc « Formation critique » penche évidemment de ce côté, le fait que l’on puisse ne prendre qu’un seul cours pour en compléter les exigences me semble largement insuffisant. Surtout que dans bien des cas, ce fut la pensée critique qui fit avancer et permit d’actualiser et d’améliorer le droit. Une augmentation de ce bloc, en plus d’avoir des effets bénéfiques sur le cogito et la production étudiante d’idées, donnerait, selon ma perspective, un avantage incomparable aux gradués. Car comprendre la limite si perméable voir imperceptible entre le droit et les autres sciences sociales, et faire en sorte que l’organisation même du baccalauréat et la répartition des cours mettent l’accent sur cet aspect sont deux facteurs qui, au terme de mes études et de mon immersion dans l’univers juridique, me paraissent primordiaux.

 

Et pourtant, la grande majorité de mes collègues (m’incluant) sortent du baccalauréat en n’ayant jamais eu, du fait de leurs études et de leurs cours, cette préoccupation première à savoir : qu’est-ce que le droit, où trouve-t-il ses sources réelles (car la coutume est un fait sociologique, la Constitution est la consécration d’idéaux philosophiques et politiques, la doctrine est une réflexion sur la science juridique) ? Ses justifications ultimes ? Toutes ces questions (et bien d’autres), qu’il me semble un étudiant finissant du baccalauréat devrait pouvoir alimenter d’un débat ou d’une argumentation florissants, ont été laissées de côté ou du moins n’ont pas été abordées de manière rigoureuse et recherchée du fait de l’organisation du programme d’étude.

 

Nous apprenons avec grand souci le droit positif contemporain québécois et canadien, sans avoir à comprendre comment il en est arrivé là, ce qui assure un trop grand immobilisme dans le schème intellectuel global qui émergera du parachèvement du baccalauréat. Ce qui, en bout de ligne, ne permet de former, in abstracto, (en omettant les caractéristiques propres à chacun et leur développement hors des enceintes des classes) que des juristes-techniciens capables d’appliquer à merveille le droit positif actuel sans être capable de potentiellement le remettre en question, le critiquer et éventuellement le faire évoluer.

 

Il me semble donc du devoir de la Faculté, celle-ci permettant l’admission directe après le CÉGEP, de veiller à ce que les étudiants jouissent d’un programme qui les oblige oui, à apprendre le droit, mais également qui leur donne les outils pour le voir d’un œil extérieur et le mettre en perspective; et qui leur inculque les réflexes d’un juriste averti et conscient.

 

Je finirai en citant les paroles de Michel Miaille « Il faut en convenir, la « construction » de nos juristes est la plupart du temps du type de la « reproduction » d’un construit déjà là ».

 

Je reste disponible à tout commentaire, merci de votre temps et veuillez agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués

 

 

Philippe-Daniel Deshaies-Rugama

Étudiant de 3e année au premier cycle à la Faculté

 


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